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ma dolce vita
19 juin 2008

Hoummos de cicerchie aux pignons

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J'ai commencé à vous en parler, ici, l'autre jour: les cicerchie sont des légumineuses très anciennes originaires du moyen-orient, dont la plante Lathyrus sativus ressemble à celle du pois chiche. Comme tous les légumes secs, on lui prête des vertus nutritionnelles de tout premier ordre... protéines, vitamines. Traditionnellement, elle est cuisinée sous forme de zuppa rustique, nourrissante. En Italie centrale, sa culture a été relancée sous l'impulsion du mouvement slow-food. A Serra de Conti, un groupe d'agriculteurs a  notamment entrepris de sauver ce légume sec, dit "du pauvre", qui était tombé dans l'oubli.  Il semble que les cicerchie correspondent en France à la gesse ou jarosse du midi. Nouvelle preuve que la méditerranée est une grande famille, un berceau culturel  fertile, y compris de cultures culinaires. Et vous savez bien que ce qui m'intéresse dans la cuisine c'est justement la culture qu'elle véhicule, perpétue et enrichit. Cuisiner est un acte profondément culturel à mes yeux, d'autant plus riche, qu'il concerne tous les milieux sociaux, toutes les époques. Pas étonnant que la cuisine fonctionne alors comme un langage qui permet à des êtres différents de trouver une façon d'échanger et de communiquer sans partager la même langue. Les similitudes des traditions gastronomiques d'une rive à l'autre rapprochent les hommes, ou plutôt devrais-je dire les femmes. Oui, disons-le, révélons ce tabou connu des Dieux: la cuisine "culturelle", la cuisine comme culture, est avant tout une affaire de femmes. Amis misogynes de la haute gastronomie, de l'art culinaire, remballez votre matériel et vos techniques de pointe! Il n'est question ici ni d'étoiles, ni de talent. Pour une raison anthropologique très simple, ce sont essentiellement les femmes qui portent et transmettent les traditions. Et le geste en cuisine. Orthodoxes  de la  bien-pensance culinosphérienne, pardonnez-moi la digression, mais voilà l'occasion d'illustrer mon propos avec une longue anecdote.

Il y a quelques années, j'animais des cours d'alphabétisation au centre social de la Goutte d'Or à Barbès. Je travaillais comme bénévole, un après-midi par semaine, auprès de femmes étrangères venues d'Afrique noire, d'Asie et du Maghreb, dont certaines étaient en France depuis 20 ans, et parlaient le français sans être capables d'en écrire une seule ligne. Elles ne savaient écrire dans aucune langue du monde. Elles venaient assister à ces leçons pour apprendre à remplir un chèque, à compiler les formulaires de l'administration française, pour apprendre à lire les panneaux dans la rue, être capables de prendre le métro. Souffrant profondément dans leur chair, l'amour-propre endolori, elles portaient la honte de ne pas avoir été à l'école, ou très peu. Parce qu'au pays, l'école était trop loin de la maison, parce que c'étaient des filles et qu'elles n'avaient pas besoin d'étudier, c'était de l'argent et du temps perdu, parce qu'elles avaient arrêté de bonne heure pour se marier et passer de l'autorité du père à celle du mari, éternelles "mineures" qui n'ont pas la possibilité de faire des choix pour elles-mêmes. Arrivées en France, avec en bandoulière des histoires dures, plus ou moins dramatiques, elles avaient toutes en commun une envie incroyable de s'en sortir, d'exister, surtout aux yeux de leurs enfants.  Elles témoignaient de la difficulté d'être reconnues comme des personnes à part entière. Convaincues de leur ignorance, de leur inutilité, elles ne l'envisageaient même pas. Semaine après semaine, j'étais sidérée par leurs progrès malgré la complexité de l'apprentissage. Et puis surtout, il y avait comme une évidence: leur sens de la solidarité et de l'échange. Avec une générosité infinie, elles organisaient régulièrement des goûters après les cours, où elles se faisaient une joie d'apporter une spécialité de leur pays, une boisson, des tonnes de pâtisseries  (la période de l'Aïd fut l'occasion d'une profusion de cadeaux sucrés succulents).  Avec un rien, c'était la fête! Comme elles venaient d'horizons variés, elles  étaient intriguées et s'intéressaient - timidement au début, puis franchement à la fin, quand l'amitié prit le pas sur les appréhensions - à ce que les autres avaient apporté, en s'étonnant de la similitude de certaines recettes malgré la différence de leurs couleurs de peau, de leurs langues et de leurs nationalités d'origine. Chacune expliquait avec enthousiasme comment elle préparait tel ou tel plat. Elles étaient fières d'enseigner leur savoir, les gestes qu'elles avaient vu faire par leurs mères, leurs tantes, leurs aînées, et qu'elles reproduisaient à leur tour. "Fatma, combien de farine tu mets? Combien de grammes? - Oh,  heu, je sais pas, les grammes. Je prends un peu de farine dans ma main comme ça. Je regarde si la pâte colle, j'en rajoute. Si c'est sec,  je mets un peu d'eau!". Elles ne le savent pas, mais j'ai beaucoup appris d'elles... (et je ne parle pas de cuisine...)

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Hoummos de cicerchie

200 g de cicerchie (si vous ne trouvez pas de cicerchie, utilisez des pois chiche!)
2 gousses d’ail hachées
le jus d'un citron
2 cuillères à soupe d'huile d'olive
1 cuillère à soupe d'huile de pignons de pin
½ à 1 cuillère à café d’huile au piment (maison)
4 cuillères à soupe de pignons de pin torréfiés
Assaisonnement: sel, poivre, cumin

Mettre les cicerchie à tremper pendant 24h en changeant l’eau plusieurs fois. Rincer à l’eau claire. Les cuire dans un grand volume d’eau bouillante salée pendant 40 minutes environ. Egoutter et ôter l’enveloppe des cicerchie qui se détache toute seule après cuisson (on trouve aussi des cicerchie non cuites déjà “épluchées”). Idem si vous utilisez des pois chiche, cela vous semblera laborieux mais c’est bien meilleur qu'avec des conserves! Mixer les légumes secs avec les pignons. Ajouter le jus de citron, l’ail, l'huile au piment, l’huile d’olive et l’huile de pignons de pin. Assaisonner à votre goût. Selon la texture obtenue, ajouter un peu d’huile d’olive ou d’eau si nécessaire. Réserver au réfrigérateur au moins 1 heure. Déguster avec du pain frais ou légèrement grillé à l’apéritif ou en entrée conviviale, chacun tartine son hoummos en se servant à la petite cuillère.

Photos et texte de Peggy Picot, Tous droits réservés ©

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Commentaires
M
je rentre de marrakech ou j'ai passé un moment merveilleux dans la cuisine d'une adorable marocaine qui m'a transmis son savoir. je te rejoints donc volontiers quand tu parles de générosité et de plaisir à transmettre...
A
tu sais quoi? je n'arrive pas à me remettre à mon blog, tellement de préoccupations professionnelles que je ne retrouve plus le fil.. bref, je fuis quasiment tous les blogs, mais ça faisait un petit moment que mon netwibes m'avertissait que tu republiais régulièrement et voilà que ce matin, juste avant de me remettre au boulot, je me suis accordée d'aller apprendre à quoi ressemblait un houmous de fruits secs que je ne connaissais pas. tu viens de m'embarquer dans une longue réflexion, qui fait échos à celle qu'a suscité mon voyage en Arménie, où la culture gastro est quasiment inexistante (rien à voir avec l'habituelle cuisine arménienne de la diaspora, notamment libanaise qui, elle, est richissime): de façon générale est absolument "cassé" par une histoire très lourde, sortant à peine de l'ère soviétique, qui a comme effacé les femmes... je ne suis pas très claire, je pense, car j'ai encore du mal à exprimer moi même ce que j'ai ressenti là bas, mais quoi qu'il en soit, ta réflexion sur les femmes et la cuisine est lourde de sens!
C
Choukran Peggy ! Triste jolie histoire et bonne recette, justement j'avais mis a tremper des pois chiches avec l'idee d'en faire une salade ou du houmos.<br /> Corinne
J
C'est très beau, ce que tu écris! Grazie e baci!
L
Merci pour le récit, <br /> merci pour la recette...
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